16-17ANS 
Une femme fixait sa fille avec émotion, tandis que le père essayait de contenir sa colère. Morwyn se pencha pour tendre de nouveau les papiers vers ses parents, ses cheveux tricolores balayant la table.
Elle dut presque mettre le stylo de force dans la main de sa mère.
- Signez, s’il vous plait. De toute façon si vous le faites pas, vous savez bien que je vous rendrais la vie impossible ou que je fuguerais ! Alors ne faites pas d’histoires, c’est qu’une émancipation, ça va tuer personne.- Mais ma chérie, protesta sa mère.
Tu n’es pas assez…- Mature ? Je pourrais très bien vivre de mes propres moyens, merci bien !- Arrête ! fit son père.
Tu as cessé d’étudier à 16 ans, comment tu veux qu’on te fasse confiance ?- Je vais m’engager dans un cirque de la ville voisine. Je l’ai déjà repéré. Maintenant, signez.Les tuteurs regardèrent le papier avec anxiété. Ils avaient le destin de leur fille entre leur main.
Depuis son entrée au collège, elle avait commencé à se distinguer. Elle s’était décolorer les cheveux, les avait teints en bleu, puis en platine avec des mèches vertes, et elle en était arrivée à son look actuel. A 16 ans, elle sortait déjà beaucoup en boîte et rentrait tard le soir.
La jeune fille contempla ses parents avec ses grands yeux bleus. Sa mère finit pour soupirer et imposer son sceau. Son père l’imita, réticent.
Morwyn les remercia et les embrassa. Elle n’allait pas tarder à partir, elle commença donc ses bagages.
Quelques jours plus tard, elle était embauchée au cirque.
- Ah, tu remplaces Lara au titre de nouvelle, alors ! lui fit une femme en souriant.
Morwyn se demanda un instant laquelle des femmes était la dénommée Lara mais décida que ce n’était pas important.
En effet, après « l’entretien d’embauche », c’était son premier jour de travail, même si le spectacle se déroulait dans quelques semaines.
- Bien bien bien, alors, comme on l’a dit hier, déclara le patron,
tu seras à la barre russe. Il te faudra des jolis costumes…Morwyn haussa un sourcil. Bien sûr qu’il lui faudra un beau costume ! Non mais, il n’allait pas s’habiller avec une nappe de table pleine de bœuf bourguignon non plus ? En plus l’adolescente n’aimait pas du tout sa façon de parler, elle avait envie de le gifler. Bon, il ne fallait pas démarrer au quart de tour non plus… Elle décida de rester zen.
18-19 ans ANS
Grâce à son humeur joviale et à son envie de faire des numéros, Morwyn ne tarda pas à s’intégrer. Elle fit plusieurs représentations sur sa barre russe. Le moment sur scène lui procurait une euphorie inexplicable. Les applaudissements et les cris des spectateurs la galvanisaient plus que n’importe quoi. En revanche, si il y avait une seule chose qu’elle désapprouvait dans ce cirque, c’était bien le dresseur avec ses lions. Elle avait bien tenté de le convaincre que les animaux n’étaient pas des animaux de foire destinés à divertir une poignée de gamins stupides ni à bondir dans des cercles de feu, rien n’y fait. Elle dut donc se contenter de prendre soin le plus possible de ses amis félins.
D’ailleurs, il y avait un spectacle ce soir. Morwyn passait en première, et elle était déjà maquillée, coiffée, pailletée, et habillée pour faire son numéro. Elle portait un justaucorps bleu lagon, dos nu et décolleté, ainsi qu’un short élastique et des collants au découpage en forme de losange par dessous.
La jeune fille se rendit dans les coulisses pour éviter que le public ne la croise. Tout le monde était déjà là, attendant patiemment. Le chapiteau avait ouvert ses portes et les spectateurs rentrait petit à petit sous la musique et les cris joviaux. Morwyn commença à ressentir le stress et discuta avec Maria pour le faire passer.
Bientôt, la musique diminua pour laisser le présentateur parler dans le micro.
« Et maintenant, pour votre plus grand plaisir, nous vous présentons un numéro hors du commun ! Vous ne l’avez sûrement jamais vue, mais, ce soir, cette jeune femme va tout donner pour vous satisfaire ! »
Morwyn songea un instant que la dernière phrase rendait bizarre avant de faire son entrée sous les projecteurs, un grand sourire sur son visage d’ange.
« Applaudissez Morwyn, aux barres russes ! »Elle fut suivie par deux hommes de la troupe portant la barre russe. Ils se mirent en place et Morwyn monta d’un saut gracieux sur la barre souple. Les hommes se rapprochèrent, et la barre se vit formée d’un U. D’un coup, ils lâchèrent.
La barre s’envola parallèlement au sol au même instant que Morwyn, qui se pencha et l’attrapa de ses deux mains. Elle se propulsa en avant, fit un salto juste au-dessus de la barre rattrapée par les deux hommes. Elle atterrit rapidement et fut de nouveau propulsée en l’air, sans la barre cette fois.
Elle se mit à tourner sur elle-même de manière fluide, puis tendit un bras en avant, une jambe de l’autre.
C’était de la danse pure. On aurait dit que la demoiselle se tenait sur le sol, et non pas dans les airs, qu’elle ne rebondissait pas sur la barre comme sur un trampoline mais qu’elle s’envolait avec des ailes d’anges.
Le final. L’un des deux hommes lâcha la barre russe et la rattrapa.
Ils saluèrent sous un tonnerre d’applaudissement avant de s’éclipser.
« Merci, merci. Ah, ils le méritent vraiment ! Et désormais, notre contorsionniste va… »Morwyn n’écouta pas la suite et sortit du chapiteau par les coulisses. Il fallait qu’elle souffle un peu. La musique, la chaleur et l’action la poussa vers l’extérieur. Elle s’assit contre un mur du chapiteau pour se reposer.
Elle contempla la lune un instant. Ce soir des nuages fins la recouvrait. Pourtant, la jeune fille voyait presque comme si elle était pleine et illuminait les lieux. L’impression du spectacle, sûrement.
Elle émergea de ses songes une bonne demi-heure plus tard. La raison ? Le son de deux voix qu’elle connaissait très bien.
« T’as été géniale » fit l’homme.
Ils étaient trop occupés pour remarquer que Morwyn les épiait avec curiosité. Lara gloussa. Toute la troupe avait remarqué ce qui se passaient entre eux deux, sauf les concernés, visiblement. Morwyn se retint de pouffer.
« J’aurais jamais réussi sans toi. Les trapèzes c’est vachement dur à maitriser, et… »Matthew ne lui laissa pas le loisir de continuer. Il lui saisit le menton entre les deux doigts et lui releva la tête pour qu’elle le regarde dans les yeux.
Haaaan là làààààà !, fut la seule chose que Morwyn pensa à cet instant. Elle était très amusée par la situation, et excitée comme une puce, comme une ado regardant sa série préférée à l’instant ou l’héroïne va enfin sortir avec le garçon qu’elle aime.
Lara craqua, comme la jeune fille s’en doutait, et plaqua ses lèvres contre le trapéziste.
Puis Matthew la porta jusqu’au toilettes.
Un plan d’une extrême simplicité vint s’immiscer dans l’esprit de Morwyn.
Elle allait attendre, planquée à la sortie des toilettes, que Lara sorte. Ensuite, elle lui sauterait dessus et lui dirai
« alors comme ça, il t’intéresse pas, hein ? ».
En effet, Lara avait toujours nié le fait que Matthew lui plaisait. Et Morwyn mourait d’envie de la taquiner.
L’occasion rêvée.
Elle se cacha donc derrière une caravane voisine pour ne pas rater la sortie des deux amoureux. Elle n’allait quand même pas les espionner ! Elle n’était pas aussi mesquine tout de même.
Seulement un petit détail détruit son projet.
Le petit détail était chauve, gros, et visiblement en colère. Il hurla, vrillant au passage les tympans de la jeune fille.
« LARAAAA ! »Hystérique, pensa Morwyn.
Le couple sortit des toilettes, l’air inquiet. Morwyn Underwoods en voulut alors beaucoup au patron d’avoir gâché son plan et le rendez-vous improvisé des deux acrobates. Mais ma raison pour laquelle il s’énervait autant lui échappait, c’est pourquoi il éclaircit les choses en frappant Matthew et en l’écrasant contre la caravane. Il lui hurla dessus pendant que Lara et lui étaient à terre. La jeune fille criait.
Mais c’est quand il s’adressa à Lara que Morwyn, tassée contre le mur de la caravane, fut le plus choquée.
« Quand à toi ma jolie… Si tu ne veux pas voir ton salaire diminuer, ne te distrait pas trop. Tu m’appartiens, aurais-tu oublié ? Tu m’appartiens… » Si le regard pouvait déshabiller, Lara se retrouverait nue. C’est à cet instant que Morwyn comprit que quelque chose de dangereux allait bientôt arriver.
« Ne la touche pas ! » hurla Matthew en sautant sur le patron.
Mais l’homme était supérieur en force et le mit à terre sans problème.
Morwyn courut de toutes ses forces vers le chapiteau. La tournure que prenaient les choses ne lui plaisait pas, mais elle savait pertinemment qu’elle n’était pas en mesure d’empêcher son patron d’assassiner à moitié le couple tout frais.
Elle tomba sur un clown baraqué, dans les coulisses.
Elle lui expliqua la situation brièvement, révélant seulement que le patron se déchaînait sur Matthew. Le clown fonça les sauver, et Morwyn resta à l’écart, dissimulée dans la pénombre.
Elle regarda Lara soigner les blessures de son « amant ». Quelque chose de grave allait se passer, elle le sentait.
Et elle avait raison.
Quelques mois plus tard, alors que Matthew avait été viré du cirque et qu’un nouveau spectacle allait avoir lieu, Morwyn avait rendez-vous près d’une caravane avec son chéri.
Elle l’avait rencontré en ville en allant faire quelques petites courses. Il était jeune, cheveux noirs, yeux bleus, bref tout pour faire craquer ! Mais elle savait que ça n’allait pas durer longtemps. Comme elle faisait partie du cirque, elle serait bientôt obligée de repartir, après ce spectacle.
Lara apparut bientôt dans le champ de vision de Morwyn. Elles se saluèrent brièvement et l’acrobate rentra dans sa caravane.
Morwyn se dit que ce n’était peut-être pas une très bonne idée de discuter avec son petit copain devant la fenêtre de Lara et préféra s’éloigner un peu.
Elle n’avait pas parlé à Lara de ce qu’elle avait vu des petits mois plus tôt. Néanmoins elle avait prêté plus attention aux agissements du patron et de la jeune femme. Visiblement cette dernière évitait son chef le plus possible, et ça se comprenait.
Elle entendit la porte de la caravane claquer et fut surprise que Lara soit déjà partie. Elle n’y prêta pas attention, trop impatiente de voir son petit ami.
Mais quelques secondes plus tard, elle ressentit un choc contre la caravane. Elle fronça les sourcils et alla voir derrière. Rien à signaler. Elle fit donc le tour et s’aperçut que de la lumière s’échappait des fenêtres. Elle eut à peine le temps de faire un pas pour regarder ce qui se passait à travers la vitre qu’un cri masculin précéda à des sons d’objets brisés.
Elle se mit brusquement sur la pointe des pieds et observa la scène par la fenêtre.
Dos à Morwyn, le patron se tenait en face d’une jeune femme qu’il venait de projeter sur le lit. Morwyn comprit immédiatement qu’il s’agissait de Lara, même si elle ne voyait pas son visage. Les objets gisant sur le sol témoignaient d’une lutte désespérée.
L’homme lui tira les cheveux pour l’allonger et s’aplatit contre elle. Une rage sans nom prit Morwyn à la gorge. Elle serra ses poings tremblant et retint aussitôt un cri étouffé. Elle rouvrit les mains et les fixa, les yeux écarquillés.
Des estafilades profondes saignaient sur la paume de ses mains. Plus étrange encore, elle possédait de longues griffes au bout de ses doigts. La jeune femme cligna des yeux plusieurs fois et sa vue devint plus claire. Trop claire. Elle releva la tête et vit son reflet dans la fenêtre.
Elle avait les yeux verts.
Mais elle vit Lara. Elle vit aussi le couteau qui se déplaçait de lui-même vers sa main tendue. Elle la fixa mettre un coup de poignard dans l’épaule du patron qui hurla.
Et elle entendit distinctement les paroles, comme si elle était dans la même pièce qu’eux.
« Ne me touches plus sale porc… »« Enfin Lara… je voulais juste t’aider… Espèce de saloperie ! »« Sortez d’ici ! Dégagez ! »Morwyn bondit juste à temps sur le toit de la caravane, silencieusement, pour voir le patron sortir en tenant son bras. Elle essaya de se calmer et regarda de nouveau ses mains. Elle n’avait plus de griffes. En revanche elle saignait toujours.
La lumière de la caravane s’estompa d’un coup et Morwyn devina que Lara avait fermé ses rideaux.
En état de choc, la jeune fille descendit de la caravane.
« Hey ! ça va ? T’as l’air bizarre… »Morwyn se tourna vers le son de la voix.
C’était Nils, son chéri. Elle l’avait complètement oublié, mais il venait sans doute d’arriver puisqu’il ne l’avait pas vue descendre de la caravane.
« ça va, fit Morwyn avec un sourire.
Et toi ? »« J’irais mieux si je pouvais t’embrasser », la taquina-t-il.
Morwyn l’approcha, malicieuse, et déposa ses lèvres contre les siennes.
Ils échangèrent un long baiser et se séparèrent doucement.
Ils discutèrent un peu, mais peu à peu, Nils se mit à pâlir.
« Eh ! Qu’est-ce qui ne va pas ? »« Arrive… plus… à… »Le jeune homme s’effondra sur le sol.
Paniquée, Morwyn le secoua dans tous les sens en pleurant. Elle prit son visage à deux mains, lui étalant de son sang sur les joues.
« réveille-toi ! réveille-toi ! »Mais il ne se réveilla pas et Morwyn finit par prendre la fuite.
After the circus
Morwyn ne parla à personne de ce qui lui était arrivé. Elle retourna chez ses parents pendant deux mois, le temps de trouver un logement à New York avec l’argent qu’elle avait amassé au cirque. Elle fit également des recherches internet, et trouva un ancien article de journal, qui racontait qu’un vieux fou avançait que des créatures étranges vivaient parmi eux.
Dans ces créatures, des Maï aux baisers empoisonnés.
Quand elle apprit qu’elle avait causé la mort de son amoureux, la culpabilité se fit ressentir. Mais elle disparut au fil du temps et Morwyn put se mettre à faire des petits jobs.
Elle ne désespère pas de trouver un jour des congénères qui comprendraient le lourd poids du secret de son meurtre.
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